La Lettre de la Bourse, 11 mai 2022

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Entretien avec Philippe Rosio, Président Directeur général d’Inea : « Notre stratégie d’investissement est en phase avec des tendances sociétales de fond »

Par Christophe Soubiran

Avec l’émergence du télétravail, le marché des bureaux est en pleine mutation. Philippe Rosio, le Président Directeur général d’Inea, une petite foncière de bureaux positionnée sur les métropoles régionales, nous explique comment ce phénomène joue dans les régions, les avantages que le groupe retire de son positionnement précoce sur les immeubles verts, et comment il entend une nouvelle fois doubler de taille en cinq ans.

Pouvez-vous nous commenter l’activité du premier trimestre ?

Philippe Rosio : Le premier trimestre s’inscrit en droite ligne avec les précédents. Notre taux de recouvrement des loyers a atteint 99%, et il s’agit des baux initiaux et du taux observé durant toute la traversée de la crise sanitaire. Notre chiffre d’affaires a progressé sur ce trimestre de près de 7% pour atteindre 13,7 millions d’euros. Une progression significative, mais somme toute naturelle pour une société en croissance. Les nouveaux immeubles qui entrent dans notre patrimoine alimentent mécaniquement la progression de nos revenus.

Surtout, la croissance organique est ressortie sur le trimestre à 2,4% avec un effet indexation s’élevant à 1,3%. Ce qui signifie que nos loyers, des loyers économiques, très en-deçà de ceux pratiqués à Paris et en Ile-de-France, résistent bien.

Nous avons aussi réalisé un arbitrage sur un nouvel actif. Une opération opportuniste. Nous avons cédé un immeuble à la ville de Toulouse qui souhaite y installer ses effectifs de la police municipale. La vente de cet immeuble, livré en septembre 2020, s’est faite à un prix de 20% supérieur à la dernière valeur d’expertise. Preuve que nous procédons à des expertises prudentes de notre patrimoine. Seuls les immeubles livrés sont évalués, ceux figurant dans notre portefeuille de projets le sont à leur valeur d’acquisition.

Ce bon début d’année intervient après une année 2021 historique, la meilleure de la société depuis sa création.

Quelles sont les grandes tendances qui soutiennent votre croissance ?

P. R. : Notre société évolue sur des marchés porteurs. 80% de notre activité provient du marché des bureaux neufs en région et les 20% restant de parcs d’activité, qui constituent un des maillons de la logistique urbaine, situés en Ile-de-France. Or il s’agit de deux marchés dynamiques.

D’autre part, du fait de notre statut de SIIC, la revalorisation de notre patrimoine transite par le compte de résultat. Le taux moyen de capitalisation retenu par les experts pour notre patrimoine ressort à 5,90%, alors que le taux constaté sur le marché en régions s’élève à 4,25%. Cet écart, qui offre une prime attractive, est appelé à baisser.

Le phénomène de métropolisation de l’économie s’est-il amplifié avec la crise sanitaire ?

P. R. : Plusieurs tendances sociétales sont à l’œuvre pour expliquer l’engouement pour les grandes métropoles régionales que la crise sanitaire n’a pas créé mais accentué. Elles consistent en une recherche du bien-être au travail, en une amélioration de la qualité de vie, et un accroissement du pouvoir d’achat. Les 10-15 premières métropoles françaises enregistrent les croissances démographique et économique les plus fortes, qui s’accompagnent d’un développement culturel important. C’est dans ce cadre que notre développement s’inscrit. Nous accompagnons ce phénomène. Les grandes villes françaises accueillent jusqu’à 5 à 10.000 personnes par an, ce qui nécessite d’aménager un nombre conséquent de bureaux.

Un attrait vers les métropoles régionales secondaires semble se dessiner également. Inea est présent à 90% dans les 10 plus grandes métropoles régionales françaises, et à 10% dans les métropoles secondaires comme Dijon, Reims, ou encore Tours. Nous sommes en phase d’observation pour voir si ce phénomène dépasse la seule migration urbaine et se traduit par un besoin de bureaux.

Comment se porte plus globalement le marché des bureaux dans les grandes métropoles régionales ?

P. R. : Trois points pour expliquer l’attractivité de ce marché. Le premier tient à la profondeur du marché locatif. 1,8 million de mètres carrés de bureaux sont loués en 2021 en régions, un chiffre à comparer à celui du marché parisien et d’Ile-de-France de bureaux qui s’élève à 1,9 million. Cette profondeur de marché importante permet aux immeubles d’avoir plus de vies locatives, c’est-à-dire pour les bailleurs de ne pas rencontrer de difficultés pour trouver de nouveaux locataires après un départ. Ensuite, les investissements sur ce marché représentent 3,2 milliards d’euros, en hausse de 23%. Il y a de la place pour investir. Enfin, les immeubles neufs sont rares. La demande à douze mois correspond à l’offre sur les trois prochaines années.

Notre modèle de développement consiste à acheter des immeubles neufs pour les louer. Ils sont situés dans les zones périurbaines des grandes métropoles, comme c’est toujours le cas en régions, des zones qui se densifient, ce qui se traduit par une revalorisation du foncier.

Quel est l’impact de la généralisation du télétravail sur votre activité ? Se traduit-elle par une réduction des surfaces louées, une renégociation des loyers, etc ?

P. R. : L’engouement pour le télétravail vient en partie des contraintes de transport en Ile-de-France, les temps de trajet pour se rendre à son bureau ne cessant de s’allonger. Il est compréhensible que des gens aient demandé de travailler chez eux. Cette problématique ne se pose pas dans les mêmes termes en régions. Le besoin de travailler à distance est moindre.

D’autre part, nos immeubles sont neufs, hauts de trois à six étages, en d’autres termes facilement accessibles en temps de crise. Les plateaux sont flexibles et réversibles, les locataires peuvent les aménager comme ils l’entendent. Ce que nous observons c’est que les « open spaces » ont cédé le pas à des bureaux partagés autour desquels se sont créées des zones de convivialité et de communication (salles de réunion, etc..). Nous ne constatons pas de réduction des surfaces louées.

Autre élément observé, les grands groupes, qui diminuent leurs bureaux à Paris, développent à l’opposé leurs filiales et leurs antennes en régions. Enfin, nos loyers sont des loyers perçus comme économiques, ils n’ont pas fait l’objet de renégociations.

Vous êtes devenu un leader en matière d’immobilier durable. Qu’est-ce que cela signifie ?

P. R. : Nos immeubles sont neufs et verts. Nous avons soumis l’ensemble de notre parc à la grille d’analyse du décret Eco-énergie tertiaire. Nous avons ainsi évalué leur consommation d’énergie actuelle au regard des seuils 2030 par rapport à différents paramètres comme l’altimétrie et le degré d’utilisation. Résultat : 90% de nos actifs de bureaux respectent déjà les seuils imposés en 2030. Nous n’aurons donc pas à procéder à des investissements verts pour les mettre à niveau. Inea est la seule foncière cotée à avoir effectué ce travail.

Il est à noter que la France, avec ses normes RT2012 et désormais RE2020, est d’un point de vue réglementaire en avance en matière de consommation énergétique des bâtiments tertiaires. La taxonomie européenne préconise une réduction de la consommation énergétique de 10% par rapport aux normes RT2012, nous sommes déjà à – 25%.

Votre objectif vise à doubler la taille de votre portefeuille à l’horizon 2026. Comment comptez-vous y parvenir ?

P. R. : Après avoir atteint notre dernier objectif de doublement de la taille de notre portefeuille en cinq ans, nous nous sommes interrogés sur la suite. Or comme je l’ai déjà évoqué, notre stratégie d’investissement est en phase avec des tendances sociétales de fond, et les marchés sur lesquels nous opérons sont porteurs. Nous n’aurons pas besoin non plus de procéder à des investissements lourds en termes de capex. D’où notre constat : le groupe est en ordre de marche pour accélérer son développement.

Nous allons donc poursuivre notre stratégie d’acquisition d’immeubles (en Vefa, loués, …) afin d’accentuer notre présence dans les dix plus grandes métropoles, et nous tourner éventuellement vers des villes secondaires. Le groupe est à même de développer son activité de logistique urbaine en régions. Nous venons d’ailleurs d’acquérir un parc de 11.000 mètres carrés dans la périphérie de Lyon (le Carré de soie). Enfin, comme toute foncière, le groupe va gérer au fil du temps la valeur de son patrimoine.

De quels moyens disposez-vous pour mener à bien tous vos projets ?

P. R. : Nous aurons nécessairement besoin de procéder à des augmentations de capital. Il faudra les limiter et les caler dans le temps, dans les cinq ans qui viennent. En 2019, nous avions levé 100 millions d’euros, et l’effet dilutif de cette opération avait été résorbé en une année et demie. C’est encourageant.

La hausse des taux d’intérêt peut-il impacter votre développement ? Et celle des coûts de la construction ?

P. R. : La remontée des taux d’intérêt est liée à la flambée de l’inflation. Or nos loyers bénéficient de clauses d’indexation. D’autre part, notre dette courante est couverte à 80% contre la hausse des taux d’intérêt. Elle pourrait avoir néanmoins un impact sur la valorisation des actifs en retenant toutefois qu’un rendement de 6% présente une prime de l’ordre de 500 points de base par rapport à l’OAT. Quant au surenchérissement des coûts de la construction, nos immeubles sont acquis en Vefa, ce qui offre des garanties sur le temps de développement, mais aussi sur leur prix. Cette hausse des coûts pourrait néanmoins raréfier un peu plus l’offre neuve, et tendre le marché.

La faiblesse de la liquidité pénalise votre titre. Comment comptez-vous y remédier ?

P. R. : Depuis 15 ans, notre développement s’est appuyé sur un actionnariat fidèle et performant. C’était notre choix de grandir et de devenir toujours plus performant en capitalisant sur cette base actionnariale.

Il est à noter que notre dividende ne fait que progresser depuis 10 ans, et il offre sur la base du dividende versé au titre de 2021 un rendement de 6%. Notre performance ressort à plus de 25% en 2021 dividende réinvesti. Mais il est vrai que nous devons animer le titre, et le rendre plus attractif. Cela passe par un élargissement du flottant de la société et une recomposition du capital. En 2019, avec la levée de fonds, il était passé de 13 à 20%.